Union des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale 503 c. Wal-Mart Canada Corporation et Conseil du patronat du Québec inc., Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada, également connue sous le nom de Manufacturiers et Exportateurs du Canada, Association canadienne des avocats d’employeurs et Confédération des syndicats nationaux (27 Juin 2014) (Cour suprême du Canada)

Contexte

Wal-Mart a ouvert son établissement de Jonquière en 2001. En août 2004, la Commission des relations du travail a accrédité Union des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale 503 (« le Syndicat ») comme agent négociateur pour les employés travaillant dans cet établissement. Durant les mois suivants, Wal-Mart et le Syndicat ont eu plusieurs réunions pour négocier les conditions d’une première convention collective. Ces réunions n’ont donné à aucun résultat, et, le 2 février 2005, le Syndicat a demandé au ministre du Travail de désigner un arbitre pour régler le litige entre les deux parties. Une semaine plus tard, Wal-Mart a informé le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale qu’il avait l’intention de mettre un terme aux contrats de travail de l’ensemble de ses 200 employés environ qui y travaillaient, pour « raisons d'affaires », le 6 mai de cette année-là. Après avoir informé les employés, le commerce a en réalité fermé ses portes plus tôt que prévu, le 29 Avril 2005. Pensant que la décision était fondée sur des considérations antisyndicales, les employés et leur syndicat ont entamé plusieurs procédures contre leur ancien employeur. 

Le 23 mars 2005, le Syndicat a déposé le grief en litige dans cet appel. Il alléguait que le renvoi des employés constituait un changement de leurs conditions d’emploi en violation de a. 59 du Code du travail (« Code »), qui indique qu’à partir du dépôt d'une requête en accréditation, un employeur ne peut pas modifier les conditions d’emploi de ses employés, sans le consentement écrit d’une association accréditée, tant que la convention collective est en train d’être négociée. Comme Wal-mart n’avait pas prouvé que sa décision de renvoi avait été effectuée dans le cours normal de ses activités, l’arbitre a conclu que la résiliation des contrats de travail de tous les employés constituait un changement unilatéral interdit par a. 59. Sa décision a été confirmée par la Cour supérieure, mais invalidée par la Cour d’appel. Les juges de la Cour d’appel, bien que divisés sur l’interprétation de a. 59, ont convenu que l’article n’était pas applicable à l’affaire portée devant eux.

Décision

La Cour suprême a accueilli l’appel et a renvoyé l'affaire à l'arbitre pour recours. Ainsi, la Cour suprême a déclaré que la vraie fonction de a. 59 du Code était de favoriser l’exercice du droit d’association. Son but en circonscrivant le pouvoir de l’employeur n’est pas purement de trouver un juste milieu ou de maintenir le statu quo pendant la négociation de conventions collectives, mais c’est, plus précisément, de faciliter l’accréditation et de s’assurer que les parties négocient de bonne foi. Le « gel » sur les conditions d’emploi codifié par a. 59 limite toute influence que l’employeur pourrait avoir sur le processus de création des associations, rassure les craintes des employés qui exercent activement leurs droits, et facilite le développement de ce qui deviendra le cadre des relations de travail pour le commerce.

La Cour suprême a ajouté que, comme a. 59 n’est pas directement lié aux réprimandes des comportements antisyndicaux, l’interdiction prévue s’appliquera qu’il soit prouvé ou non que la décision de l’employeur était motivée par un sentiment antisyndical. C’est le syndicat représentant les employés qui doit prouver qu’un changement unilatéral des conditions de travail a été effectué pour l’application de a. 59. Pour s’acquitter de ce fardeau, le syndicat doit montrer : (1) qu’une condition d’emploi existait le jour du dépôt de la requête en accréditation ou qu’une convention collective antérieure expirait ; (2) que la condition a été changée sans son consentement ; et (3) que le changement a été effectué pendant la période de l’interdiction. Le concept de la « condition d’emploi » est un concept flexible qui englobe tout ce qui est en rapport avec les relations de travail à un niveau individuel ou collectif. Le droit à la préservation de la relation de travail est la base d’une condition d’emploi pour les employés, bien que cette condition soit cependant assujettie à l’exercice des pouvoirs de gestion de l’employeur. Contrairement à a.17 du Code, a. 59 ne crée pas une présomption de changement ni n’annule automatiquement la charge de la preuve. Le syndicat doit présenter des preuves suffisantes pour prouver que le changement allégué est incohérent avec les pratiques normales de gestion de l’employeur. En conséquence, si le syndicat fournit une preuve grâce à laquelle un arbitre peut conclure qu’un changement spécifique semble incohérent avec les pratiques normales de gestion de l’employeur, le défaut de l’employeur de produire une preuve du contraire aura probablement un effet défavorable sur leur cause. Un changement peut être considéré cohérent avec la « politique de gestion normale » de l’employeur si (1) il est cohérent avec les pratiques antérieures de gestion, ou, à défaut, (2), il est cohérent avec la décision qu’un employeur raisonnable aurait pris dans les mêmes circonstances. L’arbitre doit être convaincu que ces circonstances existent et qu’elles sont authentiques.

Dans le cas d’une plainte en vertu de a. 59, a. 100.12 du Code et art. 1590 du Code Civil du Québec confèrent à l’arbitre de vastes pouvoirs réparateurs. Un arbitre peut ordonner une réparation en nature, mais quand les circonstances ne prêtent pas à une telle réparation, il ou elle pourra ordonner une réparation en équivalence. Cette dernière réparation sera appropriée si l’employeur se retire des affaires partiellement ou complètement, du moins pour autant qu’il est impossible de réintégrer les employés licenciés en violation de a. 59. Contrairement à a. 15 du Code, a. 59 ne contient aucun mot ou aucune rhétorique qui viendrait corroborer une conclusion selon laquelle son applicabilité dépend de l’existence d’un commerce en activité ou, plus simplement, d’une possibilité de réintégration. 

Un arbitre, qui est légalement contraint de trancher toute plainte en se basant sur a. 59 du Code, dispose, pour cela, d’un pouvoir discrétionnaire considérable que les cours ordinaires doivent respecter. Un ajournement est de circonstance et une révision judiciaire sera seulement disponible si la décision était déraisonnable. Dans cette affaire, la décision de l’arbitre est clairement un des aboutissements possibles et acceptables qui peuvent être défendus en fait et en droit. L’arbitre a eu raison de décider qu’invoquer la fermeture l’établissement de Jonquière ne suffisait pas à justifier le changement aux fins de a. 59. Il n’a pas placé un fardeau de preuve inapproprié sur l’employeur. Sa déclaration selon laquelle Wal-Mart n’avait pas prouvé que la fermeture avait été effectuée dans le cours normal des activités de l’entreprise était fondée sur son opinion que le Syndicat lui avait déjà présenté des preuves suffisantes pour le convaincre de l’incohérence du changement avec les pratiques de gestion précédentes de l’employeur ou avec celles d’un employeur raisonnable dans les mêmes circonstances. Il était en effet valable de conclure qu’un employeur raisonnable ne fermerait pas un établissement qui « obtenait de bons résultats » et pour lequel « les objectifs étaient atteints » à un tel point que des primes étaient promises. Ces inférences de fait, que Wal-Mart n’a pas contestées, ont mené l’arbitre à décider que la résiliation des contrats d’emploi et, de ce fait, le changement des conditions d’emploi de tous les employés de l’établissement ne respectaient pas a. 59. Cette conclusion était justifiée en fait et en droit.

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